Détachement de salariés d’une société établie dans l’Union européenne vers la France
Définition
En cas de détachement de salariés à l’intérieur de l’Union Européenne:
- ces salariés sont temporairement “détachés” par leur employeur auprès d’une autre entreprise, par exemple un client ou une société sœur afin d’y effectuer certains travaux ou une certaine mission ;
- ils restent salariés de leur employeur (initial) qui leur donne des instructions, paie les salaires, etc. ;
- les contrats de travail restent en vigueur mais certaines règles (d’ordre public) du droit local, c’est-à-dire du pays où le travail est exécuté, sont également applicables;
- les salariés en question restent (sous certaines conditions) soumis à leur propre système de sécurité sociale nationale pendant qu’ils sont provisoirement employés dans un autre Etat membre de l’UE.
Durée maximale
En ce qui concerne la durée maximale, il y a une différence entre le droit social et le droit de la sécurité sociale:
- si en pratique le détachement dure plus longtemps que la période maximale autorisée (à l’intérieur de l’UE en général 24 mois) ou si les parties conviennent dès le départ d’une durée plus longue, le système de sécurité sociale du pays d’accueil est automatiquement applicable et l’employeur est obligé d’immatriculer les salariés concernés auprès des instances de sécurité sociale locales (ici la France);
- en droit du travail, il n’y a pas de durée maximale prévue par la loi mais le principe de base est que cette situation est et doit rester, temporaire. En outre, des dispositions d’ordre public du pays où les salariés travaillent, sont applicables et l’emportent sur les stipulations du contrat de travail initial. Ceci concerne notamment les durées maximales de travail, le salaire minimum à payer, le tribunal compétent, le droit de licenciement. A partir du 1er juillet 2020, la totalité du droit de travail français est applicable aux salariés qui sont détachés pendant 12 mois ou plus.
Les règles ci-dessus sont basées sur des conventions européennes.
Formalités: SIPSI etc.
Afin de protéger les salariés détachés mais aussi pour éviter une concurrence déloyale vis-à-vis des entreprises nationales, il y a (également) en France de plus en plus d’obligations formelles et davantage de contrôles de l’inspection du travail.
La violation des règles en matière de détachement peut conduire à des amendes administratives importantes, la saisie des machines et outils utilisés et depuis juillet 2020, même à l’interdiction de continuer de détacher des salariés vers la France.
Si un employeur qui n’est pas établi en France, détache temporairement du personnel vers la France, par exemple dans le cadre d’un projet de construction auprès d’un client, de l’installation ou l’entretien de machines, mais également dans le cas d’un transport routier transnational , l’employeur doit :
1. Faire une déclaration SIPSI
Il s’agit d’une déclaration préalable que des salariés seront détachés.
Chaque employeur doit lui-même déclarer ses propres salariés par l’intermédiaire d’un site web dédié : SIPSI.
Dans ce cadre, l’employeur doit également désigner un représentant en France, parlant le français (ceci fait maintenant partie des SIPSI). Souvent ce sont des cabinets spécialisés qui s’occupent également de la paie, qui remplissent ce rôle.
Les formalités ci-dessus doivent donc être accomplies avant que les salariés ne commencent leur travail en France.
2. Constituer un dossier et le mettre à jour
NB: tous les documents de ce dossier doivent être accompagnés d’une traduction en français.
Outre la copie de la déclaration SIPSI, le dossier qui est tenu en France par le représentant et/ou sur le lieu du travail, doit être accessible à l’Inspection du travail et doit contenir –notamment- :
1. Le contrat de travail.
2. Les fiches d’heures par jour sur lesquelles sont mentionnés le début du travail-début de la pause-fin de la pause-fin du travail et dont l’Inspection peut donc déduire la durée du travail effectif. Ces fiches doivent être établies pendant toute la période du détachement des salariés. Par exemple, si le travail commence un lundi et que l’Inspection du travail effectue un contrôle le jeudi, les fiches de temps de lundi jusqu’à mercredi compris doivent être remises à l’Inspection.
3. Les fiches de paie des salariés pour la période de détachement, sur lesquelles il est mentionné au moins:
a. Le salaire reparti en heures normales et heures supplémentaires et donc également le paiement supplémentaire pour chaque heure supplémentaire (en sachant qu’en France, le salaire couvre normalement 35 heures par semaine mais qu’il est possible de conclure aussi un contrat en vertu duquel le salaire couvre forfaitairement les 4 premières heures supplémentaires par semaine ; il y a donc ainsi une durée de travail de 39 heures).
b. Les jours de vacances et les jours de repos et le paiement.
c. En France, il y a dans le secteur de la construction des caisses d’assurance pour congés payés et intempéries spécifiques.
d. Des indications de la Convention Collective. En France, quasiment toutes les Conventions Collectives sont étendues par décret et s’appliquent donc à toute personne travaillant dans un secteur donné.
Il existe un certain nombre d’exceptions. Si l’employeur détache des salariés en France pour son propre compte et non au profit de tiers (ex: rendez-vous d’affaires, contrôle de production) et dans certains secteurs (ex: artistes, sports et sciences) et si le salarié est détaché pour une période très courte, les règles ci-dessus ne s’appliquent pas.
e. Si le salarié est détaché pour une durée de moins d’1 mois, il faut surtout prouver que le salaire minimum français pour ce même poste est pris en compte et que le salarié ne travaille pas trop d’heures.
Salaire minimum à payer
NB: à partir du 1er juillet 2020, il n’est plus suffisant de payer au moins le salaire minimum général (€ 10,25 en 2021); le salaire doit être au moins égal à celui d’un salarié français ayant le même titre et la même classification.
4. La preuve que les salaires ont été effectivement payés.
Les fiches de paie et la preuve du paiement ne peuvent évidemment n’être fournies qu’après la fin du mois en question S’il n’y a pas eu de contrôle, cela n’est pas nécessaire.
5. En cas de contrôle, l’Inspection du travail peut également demander:
a. La preuve du nombre de contrats et du chiffre d’affaires que l’employeur a réalisé dans son pays d’origine, en France et dans d’autres pays (par exemple au moyen d’une déclaration certifiée par l’expert-comptable ou le Commissaire aux Comptes); ceci afin de contrôler si l’entreprise a effectivement des activités dans son propre pays et ne fonctionne pas en pratique comme une agence d’intérim.
b. Un document dont ressortent le chiffre d’affaires, le cashflow et les derniers résultats de la société. En décidant d’éventuelles sanctions, les autorités tiennent effectivement compte de la taille de l’entreprise, du chiffre d’affaires, ses capacités financières et de l’attitude coopérative ou pas vis-à-vis de l’Inspection du travail.
c. Une copie du contrat entre le client et l’employeur et les factures afférentes.
d. Informations sur le lieu (hôtel, etc…) où les salariés détachés sont hébergés.
e. S’il y a une co-activité sur le site, le plan commun de sécurité qui a été rédigé par les entreprises intervenantes.
Sanctions
Dans l’hypothèse où la déclaration SIPSI n’est pas faite et/ou aucun représentant n’est désigné, mais également si les salariés ont travaillé trop d’heures et/ou n’ont pas été payés selon les normes françaises, l’Inspection du travail peut sanctionner en appliquant des amendes administratives de € 4.000,- par infraction par salarié, portées à € 8.000,- par infraction par salarié en cas de récidive.
Pour la fixation de l’amende, il sera tenu compte notamment de l’attitude coopérative ou non de l’employeur pendant le contrôle et de la taille et capacité financière de l’entreprise.
Responsabilité conjointe
Non seulement l’employeur mais également son client peuvent être condamnés : le client a effectivement une obligation de contrôle. Si un entrepreneur ou son sous-traitant ne fournit pas de SIPSI et/ou ne désigne pas de représentant, le client / entrepreneur principal doit effectuer ces formalités lui-même dans les 48 heures ou interdire aux salariés non déclarés tout accès au lieu de travail.
Durée de travail maximale
Les salariés peuvent travailler maximum 6 jours par semaine et jusqu’à 10 heures par jour mais en respectant toujours un maximum de 48 heures par semaine (de lundi 00h00 à dimanche 24h00). En outre, il y a une autre limite : maximum 44 heures par semaine en moyenne sur une période de 12 semaines.
S’il faut travailler plus, il convient de faire une demande préalable (en principe 15 jours avant) auprès de l’inspection du travail.
Agence d’intérim
Des agences d’intérim basées à l’étranger peuvent détacher des salariés vers la France mais dans ce cas, il y a des règles complémentaires spécifiques à respecter (dossier à remettre au Ministère du Travail, fournir une garantie bancaire, …).
Auto entrepreneurs
Souvent les entreprises étrangères ne détachent pas que leurs propres salariés mais également des auto entrepreneurs afin de remplir certaines missions.
La principale question (d’un point de vue du droit du travail) est de savoir si les auto entrepreneurs, ainsi détachés par l’entreprise étrangère, sont effectivement considérés comme auto entrepreneurs en France et non pas comme salariés.
C’est effectivement l’un des points contrôlés fréquemment et de façon très stricte par l’Inspection du travail en France qui applique une définition beaucoup plus restreinte que celle qui, jusqu’à maintenant, était en vigueur aux Pays-Bas ou d’autres pays européens. Beaucoup d’auto entrepreneurs néerlandais sont considérés en France comme salariés et en cas de contrôle, cela peut entrainer des poursuites pénales et des amendes très élevées au titre du travail dissimulé.
Pour définir le statut des personnes détachées, l’Inspection tient compte d’un certain nombre de critères tels que notamment:
- les auto entrepreneurs ne doivent pas fournir que du travail/heures mais vraiment prendre en charge une partie des travaux;
- ils doivent appliquer leurs propres méthodes de travail et ne pas recevoir d’ instructions de l’entrepreneur principal/du client;
- ils doivent fournir eux-mêmes au préalable un devis (et en général ils doivent aller voir sur place pour voir ce que les travaux demandés couvrent exactement); cela ne doit pas être un prix par heure par personne mais un prix global pour l’installation d’une machine par exemple ou pour remplir une mission spécifique telle que réparer le toit ou s’occuper de toute la peinture intérieure d’un magasin ;
- même s’il y a un contrat cadre, il faut que l’auto entrepreneur fournisse un devis spécifique pour chaque chantier;
- les auto entrepreneurs ont le droit de refuser des commandes et ils ont plusieurs clients;
- ils ne peuvent pas avoir une clause de non-concurrence dans leur contrat avec leur client (les clauses de confidentialité sont possibles);
- ils doivent s’occuper eux-mêmes de l’organisation des travaux, du transport et des machines et outils nécessaires;
- ils ont leurs propres vêtements de travail et protections individuelles (en aucun cas ceux des clients ou entreprises principales!);
- ils doivent garantir (et assurer) la qualité des travaux effectués par eux;
- ils doivent payer eux-mêmes les impôts, les charges sociales, etc.
Contrairement à la pratique aux Pays-Bas, les autorités françaises ne tiennent pas compte de la qualification donnée par les parties à leurs relations.
Si la partie cocontractante est vraiment un auto entrepreneur, il faut s’assurer qu’il exécute lui-même les travaux et ne le fasse pas exécuter par des “sous-traitants” à moins que le client contrôle à nouveau que toutes les règles concernant la sous-traitance (ou le droit du travail) sont bien prises en compte. Il y a une responsabilité conjointe et le client/entrepreneur principal doit vérifier le respect des règles.
Pour les “vrais” auto entrepreneurs qui ne sont donc pas des salariés, il n’y a pas d’exigences en droit du travail et les formalités sont beaucoup plus simples : il faut fournir la preuve d’une inscription au registre du commerce et conserver un formulaire A1 sur le lieu de travail (en cas de contrôle, l’inspection demandera également une copie du contrat et d’autres informations).
Pour ces auto entrepreneurs il ne faut donc pas faire de SIPSI (sinon cela donne l’impression qu’il s’agit d’un salarié).
En résumé, il est extrêmement important de bien préparer sa venue en France (ce qui, en cas de travaux urgents, n’est évidemment pas toujours très simple).
Mirjam BERG
Avocat au Barreau de Paris
Associée du cabinet Amstel & Seine