Assouplissement de la règle de la loyauté de la preuve en droit civil

4 avril 2024

Une preuve obtenue par un procédé déloyal est-elle recevable en justice ? Un employeur peut-il utiliser comme preuve l’enregistrement d’une conversation à l’insu du salarié ou un message privé issu de Facebook ?  

Dans un arrêt de principe de 2011 (Ass. plén., 7 janvier 2011, n° 09-14.316), l’assemblée plénière de la Cour de cassation, dans un souci de garantir l’éthique du débat judiciaire, considérait que lorsque la preuve était obtenue de manière déloyale (ex. à l’insu de la personne, à la suite d’une manœuvre ou d’un stratagème), le juge se devait de l’écarter des débats.

  • Revirement de l’Assemblée Plénière du 22 décembre 2023 (pourvois n°20-20.648 et n°21-11.330)

Par un arrêt très attendu, la Cour de cassation admet dorénavant qu’une partie puisse utiliser une preuve obtenue de manière déloyale ou illicite, dès lors qu’elle est indispensable à l’exercice de ses droits.

Cet arrêt constitue un revirement de jurisprudence, et fait écho à la jurisprudence de la Cour Européenne des droits de l’homme selon laquelle la justice ne peut priver un justiciable de la possibilité de faire la preuve de ses droits lorsque la seule preuve disponible constitue une atteinte aux droits de la partie adverse. Ainsi, une preuve illicite ou illégale ne doit pas nécessairement et systématiquement être écartée des débats. Il appartient au juge (i) de déterminer si la preuve est indispensable à l’exercice du droit de la preuve, pour ensuite appliquer (ii) une mise en balance des droits en présence (à savoir le droit de la preuve vs. d’autres droits tels que le respect de la vie privée, des correspondances ou encore la protection des données personnelles, par exemple).

La Cour de cassation applique de cette méthode à deux cas d’espèce pour des résultats différents :

L’enregistrement clandestin d’une conversation du salarié est recevable pour justifier son licenciement

Dans la première affaire, un salarié avait tenu des propos qui avaient conduit l’employeur à prononcer une mise à pied, puis un licenciement. L’employeur n’avait pour seule preuve que l’enregistrement clandestin de leur conversation. La Cour d’appel d’Orléans avait déclaré cette preuve irrecevable, car réalisé de manière clandestine. Aucune autre preuve ne permettait de démontrer la faute commise par le salarié, le licenciement pour faute grave a été déclaré sans cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation casse l’arrêt, et reconnait à l’employeur le droit d’utiliser une preuve obtenue de manière déloyale, dès lors que cette preuve est nécessaire à la stricte défense de ses droits.

Contrairement au message privé Facebook envoyé depuis l’ordinateur professionnel du salarié

Dans la seconde affaire, un salarié avait échangé avec un collègue sur sa messagerie privée Facebook, qu’il avait par négligence laissée ouverte sur son ordinateur professionnel. Il sous-entendait dans ce message avec des propos peu flatteurs que la promotion d’un collègue était due à l’orientation sexuelle de ce collègue et du supérieur hiérarchique et s’était fait licencié pour faute grave pour ce motif.

La Cour d’appel avait jugé le licenciement non fondé considérant que la preuve apportée était déloyale et illicite et violait le secret des correspondances.

La Cour de cassation sanctionne également l’employeur en décidant que les propos étaient de nature privée, n’avaient pas vocation à être rendus publics et ne constituaient pas un manquement à une obligation contractuelle. Elle réitère par la même sa position selon laquelle les motifs en lien avec la vie privée ne peuvent pas fonder une sanction, sauf à ce que ceux-ci constituent un manquement à une obligation contractuelle.

En conclusion, la décision de la Cour de cassation marque un tournant dans la jurisprudence française en matière de recevabilité de la preuve en droit civil. L’illicéité de la preuve ne conduit plus nécessairement à ce qu’elle soit écartée des débats. L’issue d’un procès est désormais, plus que jamais, appréciée de manière subjective par les juges du fond, qui peuvent accepter ou non des preuves en fonction des circonstances de l’espèce et des droits en présence. Cependant, les limites fixées demeurent subjectives, donc à géométrie variable. Reste à voir comment cette décision sera interprétée et appliquée dans les litiges futurs.